
Safe spaces nocturnes, quand faire la fête devient un droit
Un texte d'Ève Tagny
«You gotta fight for your right to party» (Tu dois te battre pour ton droit à faire la fête), clamait le groupe rap Beastie Boys en 1986. Quelque 30 ans plus tard, la vie nocturne de Montréal est animée par des promoteurs, des collectifs, des DJ et d’autres individus qui travaillent à créer des espaces plus sécuritaires, inclusifs et accessibles à tout type de personnes. En somme, elles et ils désirent appliquer la notion de safe space (espaces inclusifs et sécuritaires) sur les pistes de danse.

Le but est de créer un espace alternatif en marge de la société, où l’on se donne le mandat de réduire, de diminuer le plus possible les oppressions systémiques [...] : le sexisme, la transphobie, le racisme, l'homophobie.
C’est ainsi que l’explique Éliane Thivierge, cofondatrice de l'organisation PLURI. La mission de cet OBNL est de faire de la réduction des méfaits en milieux festifs, particulièrement en ce qui concerne le harcèlement sexuel.
Les soirées dansantes inclusives ont lieu dans différentes scènes musicales. Il peut s’agir de raves (parfois illégaux) aux accents psychédéliques dans l'est de la ville; de loft parties techno de style plus brutaliste, industriel ou minimal dans le Mile-End; de soirées queer ou féministes, ou encore des after-hours qui mettent à l'honneur l'afro-beat et s'éloignent des styles musicaux occidentaux.
La piste de danse comme lieu d’empowerment
Dans des endroits plus ou moins dissimulés, souvent trahis par les vibrations distorsionnées de la musique qui s'en échappent, l’on pénètre, l'espace d'une nuit, dans un espace festif alternatif où sont rassemblés des individus en quête d'un répit des tensions du quotidien. Une bulle en retrait du monde extérieur, avec ses propres codes qui laissent place à la pleine expression de soi, de son identité.
Dans les mots de Leticia Trandafir, aussi DJ sous le pseudonyme Softcoresoft:
Historiquement [...] le dancefloor a souvent été l'espace où beaucoup de communautés marginalisées, autant par la race, le genre, la sexualité [...], ont pu exister, avant même de pouvoir le faire dans l'espace public. Je pense que c'est un lieu de découverte identitaire.
Ainsi se créent des sphères de sociabilité qui s'étendent au-delà du moment de la fête, et peuvent faire partie intégrante de communautés rassemblées autour de valeurs et d'intérêts communs.
Éliane ajoute:
Je crois vraiment au party comme outil de travail social pour créer des mixités et de l’empowerment [autonomisation] dans les communautés. [...] Cela crée un espace temporaire où tu peux explorer et célébrer complètement ton identité et après, [...] de jour, tu conserves un héritage de ça et ça te permet de progresser dans la vie.
Ces soirées safe space s'éloignent de l'atmosphère parfois tendue, qui règne souvent dans les espaces qui sont plus commerciaux ou qui ne respectent pas ce type de sensibilité. Comme dans la vie quotidienne, certaines personnes sont, par leur genre, leur ethnicité ou leur orientation sexuelle, plus vulnérables aux agressions dans les lieux de fête, où le degré de désinhibition est plus élevé.
Selon Éliane de PLURI:
La majorité des gens qui font de la promotion ou qui possèdent des salles à Montréal, c'est des hommes cisgenre, blancs et hétérosexuels qui ne sont pas vraiment au courant des risques que les autres personnes, qui ont d'autres corps ou d'autres identités [que la leur], vivent dans ces espaces-là.


Le droit de faire la fête sans craindre les agressions
Leticia déplore que, dans certains clubs commerciaux, les personnes, particulièrement les femmes, soient laissées à elles-mêmes. Lors de cas d'agressions ou de conflits, la victime se retrouve souvent blâmée. Leticia exemplifie : «Tu étais saoule, tu étais habillée de telle manière, t'étais juste là!»
En effet, des expériences telles que le profilage racial, le vol ou les altercations qui dérapent en bagarres deviennent presque banalisées. Tout comme peut l’être l'attention sexuelle non désirée, qui peut se manifester simplement parfois par des regards persistants, parfois par une proximité imposée ou parfois par un attouchement.
Pourtant, maintenant que les cultures musicales techno et électro sont très populaires, il est pertinent d’étendre la notion d’inclusivité et de sécurité aux sphères festives commerciales. Surtout parce qu’il faut tenir compte les problématiques concernant la culture du viol ou encore les tragédies telles que la tuerie d’Orlando, qui a profondément ébranlé la communauté LGBTQ en 2016.
Sourire en coin, Éliane lance:
À la blague, on dit, entre nous dans l'équipe de PLURI, que notre règle de base est que faire le party et vivre cette libération-là, ça devrait être un droit universel. Les interventions que l'on fait sont dans le but de faciliter l'accès à cette libération pour des communautés qui sont plus marginalisées.
Lors des soirées inclusives, plusieurs moyens sont utilisés pour rendre l’espace plus inclusif et sécuritaire pour tous.
Par exemple:
*afficher clairement par écrit le mandat de non-tolérance à toute forme d'agression,
*avoir une équipe de sécurité sensibilisée, qui peut répondre avec sérieux à tout problème rapporté,
*avoir des points de repère clairs et des personnes ressources identifiées comme telles,
*avoir des toilettes non genrées afin d'éviter l'exclusion et la confusion,
*prévoir des lieux sécurisés physiquement,
*miser sur une programmation de DJ diversifiés pour attirer un public plus éclectique.
De plus, en dehors des lieux de fête, des groupes organisent des ateliers et des discussions entre les divers acteurs des scènes musicales.
Le refrain ludique des Beastie Boys serait donc plus pertinent qu'anticipé et toujours d'actualité. «Se battre pour le droit à faire la fête», pour toutes et tous, et en toute sécurité.
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